Télécharger le PDF (Mercure et Io)

Télécharger le PDF (La mascarade chinoise)

 

Ce tableau datant des premières années suivant le retour de l’artiste à Paris après son séjour à Rome est une redécouverte : il avait été très largement dénaturé par une restauration intempestive effectuée au cours du XXème siècle qui avait intégré notre flûteur dans un paysage, masquant à la fois la chaumière sur la droite mais surtout la vache sur la gauche. Celle-ci est pourtant capitale pour comprendre la signification de cette scène bucolique, qui représente vraisemblablement, dans une belle lumière dorée, Mercure, déguisé en berger, qui joue de la flûte pour endormir le terrible Argos, le gardien de la pauvre Io, cette prêtresse de Junon aimée de Jupiter et transformé par lui en génisse pour qu’elle échappe au courroux de Junon sa femme…

 

  1. Le séjour à Rome, une étape clé dans la vie de Jean-Baptiste Marie Pierre

 

Jean-Baptiste Marie Pierre naît à Paris le 6 mars 1714 dans une famille d’orfèvres et de joailliers aisée. Son père Jean Pierre est élu échevin en 1743 ce qui l’anoblit. Cette aisance familiale lui permet d’avoir accès à des études académiques avec un précepteur. Pierre devient l’élève du peintre Nicolas Bertin (1668-1736), puis celui du peintre Charles-Joseph Natoire (1700-1777). Il suit des cours à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture où il se lie avec le graveur Charles-Nicolas Cochin le Fils (1715 – 1790). Cette amitié l’amène à fréquenter également l’atelier de Cochin le Père (1688 – 1754) auprès duquel il apprend sans doute la gravure et qui le sensibilise à l’art de Watteau.

 

Il devient en 1734 lauréat du grand prix de peinture de l'Académie, avec Sanson à qui Dalila coupe les cheveux (dont la localisation actuelle inconnue). Il est ensuite autorisé à rejoindre l’Académie de France à Rome, alors sous la direction du peintre Nicolas Vleughels (1688-1737). Il séjournera à Rome de juin 1735 à juin 1740.

 

De retour à Paris en 1740, il connaît un vif succès et devient en 1752 le premier peintre du Duc d’Orléans pour qui il peint plusieurs plafonds au Palais-Royal et au Château de Saint-Cloud. Il peint également entre 1752 et 1757 deux coupoles pour l’église Saint-Roch à Paris. Il devient Premier Peintre du Roi en 1770, à la suite de François Boucher et exerce une influence déterminante sur l’art et les artistes de son temps. Il réserve ses talents de peintre exclusivement à des commandes royales et meurt le 15 mai 1789, à la veille de la Révolution.

 

2. Un thème entre bambochade et scène mythologique …

 

Le thème représenté ici évoque au premier regard une bambochade, ces scènes de la vie quotidienne largement représentées dans l’œuvre de Pierre, particulièrement après son retour d’Italie en 1740 dont nous présentons un exemple avec Un pont, un tableau de 1749 conservé au Musée du Louvre.

 

Un examen attentif de notre tableau permet toutefois d’avoir une autre lecture : notre berger paraît bien noble pour un simple berger, les jambes drapées dans une étole rouge, la couleur de la pourpre évoquant plus la dignité impériale que l’habit d’un simple berger. Il est par ailleurs chaussé d’élégantes sandales, qui évoquent les talaria, les fameuses sandales ailées de Mercure.

 

La vache représentée à sa gauche a une particularité assez frappante : un pis qui ne semble avoir qu’un seul trayon et évoque de ce fait plus la poitrine d’une femme (généreuse) que les mamelles d’un animal ! Notre génisse (sans ses mamelles) est très proche dans sa composition d’un dessin représentant deux bœufs attelés réalisé par Pierre pendant son séjour en Italie et conservé aujourd’hui à la Bibliothèque de l’Institut National d’Archéologie et d’Histoire de l’Art à Rome[1].

 

Car c’est bien à la légende d’Io et de Jupiter que nous fait penser cette scène : Jupiter ayant été surpris avec Io par Junon la transforme en génisse et l’offre à sa femme, qui à son tour la confie à la garde du terrible Argos, le géant au cinquante paires d’yeux. Jupiter envoie alors Mercure pour délivrer la pauvre Io. Mercure parvient à endormir Argos par une douce musique et le décapite, permettant à Io de s’enfuir.

 

Le thème de Mercure et d’Argos a été traité par Pierre et il est tout à fait possible que notre tableau, dont la forme et la composition sont assez caractéristiques d’un dessus de porte, faisait partie d’un ensemble plus large comportant d’autres scènes mythologiques, qui n’a pas été identifié à ce stade[2].

 

3. Une redécouverte spectaculaire

 

La photo sous lumière ultra-violette permet de voir l’ampleur des repeints qui avaient été rajoutés dans le but de le transformer en un tableau de chevalet et d’accréditer l’idée qu’il aurait été peint par Claude Lorrain ! Ceux-ci apparaissent très nettement des deux côtés du flûteur et dans les parties colorées en noir, alors que les parties originales disparaissent sous une fluorescence bleue liée à la présence de l’ancien vernis. Aucun élément de la composition originale cachée sous les repeints n’apparaissait à la réflectographie infrarouge, l’ensemble des ajouts ayant été réalisés avec une peinture acrylique posée directement sur le vernis particulièrement opaque.

 

L’enlèvement des repeints a permis de dévoiler petit à petit la composition originale, sans qu’il soit possible de lui donner immédiatement un sens, comme nous le voyons dans la photo ci-dessous qui révèle l’apparition de la corne et de l’oreille de notre génisse.

 

Ce nettoyage minutieux a permis de retrouver la composition dans son intégralité, telle qu’elle avait été conçue par Pierre, avec une grande liberté dans la touche et une vigueur caractéristique de son art à son retour d’Italie dans les années 1740. Cette restauration a permis également de rendre à ce tableau sa belle lumière dorée.

 

Nous avons conservé et également restauré le cadre de ce tableau en bois sculpté et doré qui avait vraisemblablement été exécuté à partir de moulures provenant de boiseries.

 

Principale référence bibliographique :

Nicolas Lesur – Olivier AaronJean-Baptiste Marie Pierre 1714-1789 Premier peintre du roi – Arthena 2009



[1] Une vache de la même composition apparaît dans un tableau perdu présenté au salon de 1743, La Bergère, qui a été gravé par Fessard.

[2] La collection de Madame de Pompadour vendue à Paris le 28 avril 1766 comportait « Quatre sujets tirés des Métamorphoses d’Ovide » mais les dimensions ne correspondent pas…