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Cet extraordinaire coffret réalisé en pastiglia (une pâte à base de blanc de plomb) sur une armature en bois doré appartient à un groupe d’objets qui ont été réalisés à Venise ou à Ferrare dans le premier tiers du XVIème siècle. Arrivé jusqu’à nous dans un remarquable état de conservation, le coffret que nous présentons est orné de thèmes bibliques, mythologiques ou issus de l’histoire romaine tout à fait caractéristiques des productions de l’Atelier des Thèmes Moraux et Amoureux.

 

  1. Les coffrets en pastiglia, une mystérieuse production de la Renaissance italienne

 

Bien qu’ils soient bien représentés dans de nombreuses collections publiques de par le monde[1], les coffrets en pastiglia n’avaient pas fait l’objet d’une publication dédiée jusqu’à celle d’un long article par Patrick M. de Winter en 1984[2], article sur lequel nous nous sommes appuyés pour cette description.

 

Ces boîtes qui portent systématiquement un décor différent sont constituée d’une armature en bois incisé et doré sur laquelle ont été fixés des éléments de décors moulés en pastiglia de couleur blanche, à l’imitation de l’ivoire ou du gypse. Généralement rectangulaires, elles sont toujours surmontées d’un couvercle monté sur des charnières et fermant avec un petit loquet. Un grand nombre reposent sur quatre pieds décorés de motifs de feuille d’acanthe, comme celle que nous présentons.

 

L’ornementation de ces coffrets puise invariablement dans quatre répertoires : l’histoire romaine, la mythologie, l’Ancien ou plus rarement le Nouveau Testament, et enfin dans des motifs purement ornementaux inspirés de l’antique. Patrick de Winter avait recensé 115 exemplaires (dont la moitié provenant de l’Atelier des Thèmes Moraux et Amoureux) et nous pouvons donc imaginer qu’il en subsiste moins de 200.

 

La première question que l’on peut se poser est l’usage qui était fait de ces boîtes. Elles ne servaient vraisemblablement pas à garder des bijoux (pour lesquels il existait de petits coffres forts métalliques dont de nombreux spécimens subsistent). D’un grand intérêt décoratif, ces boîtes étaient plutôt utilisées pour ranger des babioles (comme par exemple des sceaux ou des bâtons de cire). Certaines étaient revêtues de motifs courtois et ont dû servir de cadeau de fiançailles. Des traces de poudre d’or à l’intérieur de celle que nous présentons permet de suggérer qu’elle a vraiment servi à cet usage, la poudre d’or étant utilisée à la Renaissance tant pour les enluminures que comme élixir de beauté. Ces boîtes s’inscrivent dans le goût qui se développe à la Renaissance de collectionner de petits objets – des médailles, des statuettes, des objets en pierre dure – inspirés par l’Antiquité.

 

La décoration extérieure de ces boîtes est caractéristique. Elle est composée d’éléments en pastiglia, une pâte composée à 87% de blanc de plomb auquel on adjoint du sulfate et un liant à base d’œuf. Cette pâte était ensuite coulée dans des moules métalliques permettant d’obtenir de petits éléments décoratifs, qui étaient ensuite utilisés pour composer des scènes à chaque fois différentes, en étant collés (à la colle de peau de lapin) sur les faces extérieures des coffrets qui avaient été préalablement dorées et incisées. Un examen attentif des différentes scènes permet de retrouver les mêmes éléments décoratifs, les mêmes personnages qui réapparaissent d’une scène à l’autre, et ce sur différents coffrets d’un même atelier.

 

Alors que la plupart des musées dans lesquels ils sont conservées indiquent une provenance ferraraise, Patrick de Winter pensait plutôt que les ateliers ayant produit ces attachants témoignages d’une floraison des arts décoratifs au début du XVIème siècle étaient situées à Venise.

 

2. Description des décors historiés de notre coffret

 

Les scènes figurées sur ces coffrets illustrent le goût de la Renaissance italienne pour les scènes symbolisant un idéal d’exemplarité et de sens moral. La face avant de notre coffret représente le Triomphe de David, une scène vétérotestamentaire souvent utilisée à la Renaissance aux côtés de personnages antiques comme un exemple de courage.

 

Cette scène semble avoir été représentée assez rarement puisque Patrick de Winter ne mentionne qu’un autre coffret du même atelier sur lequel elle apparaît. Celui-ci est conservé au Victoria and Albert Museum de Londres et a exactement les mêmes dimensions que celui que nous proposons. Il offre également la particularité d’avoir un couvercle portant exactement la même décoration que celui de notre coffret.

 

Sur notre coffret nous retrouvons à gauche de la scène du Triomphe de David un des personnages les plus intrigant des productions de l’Atelier des Thèmes Moraux et Amoureux. Surnommé par Patrick de Winter « the good-natured lancer », c’est à dire le lancier de bonne compagnie, c’est un personnage habillé à la mode de l’époque, qui réapparait dans de nombreuses autres compositions, comme par exemple à droite de la frise de danseurs d’un coffret conservé au MET de New York (Inv 17.190.589).

       

Les couvercles de notre coffret et de celui du V&A dont nous avons parlé précédemment nous paraissent identiques. Une première frise décorée de quatre têtes aux angles entoure une seconde frise de lauriers en relief, à l’intérieur de laquelle nous trouvons des deux côtés d’un fretel décoré à son pied d’un motif de marguerite à douze pétales deux visages d’homme barbu entourés de rinceaux végétaux surmontés de deux harpies.

 

La scène sur le côté gauche de notre coffret est d’une interprétation plus délicate mais pourrait représenter La mort de Pompée : contraint de se réfugier en Egypte après son échec à la bataille de Pharsale, Pompée y est assassiné sur ordre du jeune Ptolémée XIII Philaptor avant d’être décapité. Sa tête (représentée dans le coin supérieur gauche de notre coffret) sera offerte quelques jours plus tard à César, lorsqu’il débarquera à son tour à Alexandrie.

 

L’interprétation de la scène située à l’arrière du coffret est également incertaine. Il pourrait s’agir de La clémence de Scipion l’Africain ou de Brutus harranguant ses troupes[3]. Alors que Brutus est représenté sur le côté d’un coffret également conservé au V&A Museum (Inv. W.48-1911) en utilisant le même moule que le personnage situé sous notre baldaquin (mais sans baldaquin), ce même baldaquin se trouve dans une scène représentant La clémence de Scipion l’Africain représentée sur un coffret conservé au Kunstgewerbe de Berlin (Inv. 75.690).

 

L’histoire de Scipion est la suivante : après la prise de Carthagène, des soldats romains présentent à leur général une jeune fille d’une exceptionnelle beauté qu’ils viennent de capturer. Elle était promise à Allutius et le père de la jeune fille se présente à Scipion apportant une rançon pour libérer sa fille. Scipion ordonne alors qu’elle lui soit rendue et que la rançon soit consignée pour constituer la dot de la jeune fille. La jeune fille n’apparait pas sur notre coffret (à la différence de la scène représentée sur celui de Berlin) mais le personnage à droite du baldaquin pourrait bien être son père, si on accepte l’utilisation de la nudité héroïque pour la représentation de Scipion…

 

La dernière des scènes n’a pas d’équivalent dans les autres exemplaires que nous avons pu étudier. Ces deux bateaux surmontés par une sirène (représentée comme une créature mi-femme mi-oiseau) évoquent une scène de l’Odyssée : Ulysse et les sirènes.

 

Après avoir été mis en garde par Circé, Ulysse fit en effet couler de la cire dans les oreilles de ses marins pour qu’ils ne puissent pas entendre les sirènes tandis que lui-même se faisait attacher au mât du bateau, et quand il demandait à ses marins de le détacher ils devaient serrer les liens encore plus fort. Ainsi Ulysse put écouter leur chant sans se précipiter vers elles malgré la tentation.

 

En ces premières années du XVIème siècle, ces bateaux évoquent inévitablement les caravelles utilisées par Christophe Colomb pour sa première expédition aux Caraïbes (dont il rentre en mars 1493) et pourraient ainsi constituer une subtile allusion à cet évènement qui allait changer l’histoire du monde !

 

3. Provenance

 

Une des plus illustres collections de la Renaissance était celle qu’avait constitué Isabelle d’Este (1474 – 1539), la femme de François II de Gonzague, le marquis de Mantoue. Elle gardait ainsi dans sa fameuse « grotte », à l’intérieur de son palais de Mantoue, un grand nombre d’objets prouvant son « goût insatiable pour les objets de l’antiquité » parmi lesquels figuraient des coffrets semblables à celui que nous présentons.

 

Une hypothèse séduisante (même si aucun autre élément ne vient la corroborer) pourrait expliquer la découverte de ce coffret dans un château du Nivernais : il pourrait provenir de cette fameuse collection des Gonzague et avoir été apporté à Nevers par Louis de Gonzague (1539 – 1595), le petit-fils d’Isabelle qui épousa en 1565 Henriette de Clèves, la duchesse de Nevers.

 

Principales références bibliographiques :

Patrick M. de WinterA little known Creation of Renaissance decorative Arts : the whitlead Pastiglia Box publié dans Saggi et Memorie di Storia dell’ Arte – Leo S. Olschki Editore – Firenze 1984

Pastiglia Boxes hidden treasures of the Italian Renaissance catalogue de l’exposition au Lowe Art Museum de Miami en 2002



[1] De nombreux musées conservent des coffrets similaires au notre parmi lesquels nous pouvons citer le Victoria and Albert Museum de Londres – Royaume uni (14 exemplaires), le Musée de la Renaissance d’Ecouen- France (8 exemplaires), la Walters Art Gallery de Baltimore – USA (7 exemplaires), le Kunstgewerbe Museum de Berlin – Allemagne (6 exemplaires), le Museo di Palazzo Davanzati et le Museo Stibbert à Florence Italie (5 exemplaires chacun), le Castello Sforzesco de Milan - Italie (5 exemplaires).

[2] Patrick M. de WinterA little known Creation of Renaissance decorative Arts : the whitlead Pastiglia Box publié dans Saggi et Memorie di Storia dell’ Arte – Leo S. Olschki Editore – Firenze 1984

[3] Avant de se donner la mort, Brutus aurait prononcé le discours suivant : « Ce m'est une très grande joie, en cet instant, de constater que je n'ai été trahi par aucun de mes amis. Si j'avais des reproches à faire, je n'en ferais qu'à la Fortune. Non pour moi, mais pour ma patrie. Car je m'estime, pour ma part, plus heureux que nos vainqueurs. Dans le passé comme aujourd'hui, oui, je suis plus heureux qu'ils ne le seront jamais. Je laisserai au moins une réputation de vertu. De cela, ils ne triompheront jamais par les armes. Et tout leur argent ne parviendra pas à la ternir cette vertu. Ils ne pourront empêcher la postérité de voir en eux des individus méchants et injustes, qui auront mis à mort des hommes de bien, loyaux et justes, dans le but d'usurper un pouvoir auquel ils n'avaient aucun droit. » Plutarque Vie de Brutus LX 52