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Télécharger le certificat du Dr. Ursula Härting (traduction française)

 

Cette rare étude réalisée directement au pinceau sur un panneau de bois préparé, sans dessin préalable, nous présente une vingtaine d’oiseaux, la plupart domestiqués. Elle constitue un témoignage fascinant de la transmission des formes créées par Jan Brueghel l’Ancien au sein de l’atelier des Brueghel : certains oiseaux s’inspirent directement de compositions allégoriques de Jan l’Ancien, compositions qui seront par la suite copiées au sein de l’atelier dirigé par son fils, alors que d’autres annoncent au contraire certaines œuvres originales de Jan le Jeune.

 

  1. Jan Brueghel le Jeune, digne continuateur de son père Jan Brueghel l’Ancien

 

Jan Brueghel le Jeune est un artiste indépendant de grand talent, qui a parfois été sous-estimé dans l'historiographie. Il était le fils aîné de Jan Brueghel l’Ancien (également appelé Brueghel de Velours) et donc le petit-fils de Pieter Brueghel l'Ancien. Il s'est probablement formé dans l'atelier de son père, qui l'a encouragé à se rendre en Italie en 1622 en compagnie de son ami d'enfance Anthony van Dyck et à entrer au service du cardinal Federico Borromeo à Milan. De Milan, il se rend à Malte et en Sicile.

 

À l'annonce de la mort subite de son père en 1625 dans une épidémie de choléra, il retourne à Anvers pour prendre en charge son atelier. Cette même année, il est inscrit comme maître de la guilde de Saint-Luc dont il devient le doyen en 1630. Il vend les tableaux laissés par son père et achève avec succès des œuvres inachevées. En outre, il réalise un certain nombre de petits tableaux dans le style de son père. Il reproduit les natures mortes, les couronnes de fleurs, les paysages et les allégories de son père, mais ne le fait pas en tant que simple copiste ; au contraire, il incorpore des nouveautés et donne à son œuvre une touche personnelle. Comme son père, il crée également des arrière-plans de paysages en collaboration avec de nombreux peintres de figures, dont Peter Paul Rubens et Hendrick van Balen. En 1626, il épouse Anna Maria, la fille d'Abraham Janssen, avec qui il aura onze enfants, dont cinq deviendront peintres. En 1630-1631, la cour de France lui commande un ensemble d'œuvres sur Adam. Après avoir travaillé pour la cour d'Autriche en 1651, il retourne à Anvers en 1657, où il vit jusqu'à sa mort.

 

2. Description de l’œuvre

 

Notre étude représente vingt oiseaux sur un fond de couleur claire qui évoque le parchemin. La plupart sont des animaux domestiqués introduits en Europe au cours des siècles. Le plumage et l’attitude de chaque oiseau sont représentés de manière précise et leurs tailles respectives crée une sorte de perspective sur le panneau. Alors qu’un canard est représenté en vol, un autre s’envolant, les autres oiseaux sont posés sur le sol et y projettent leur ombre.

 

Au centre nous trouvons un dindon (Meleagris ou Guajolote de la famille des Phasianidae) caractérisé par sa queue en éventail, qu’il déploie lors de sa parade nuptiale. Originaire d’Amérique du Nord, le dindon fait son apparition en Europe au XVIème siècle, importé par les colons espagnols et les missionnaires jésuites. C’est encore un oiseau rare au début du XVIIème siècle bien qu’il fasse déjà partie des basses cours des domaines flamands.

 

A sa droite, sont représentées trois pintades (Numida meleagris ou pintade commune), et au-dessus deux canards colverts (Anas platyrhynchos de la famille des Anatidés). Trois poules représentées au premier plan, un canard à l’extrême gauche et trois pigeons domestiques viennent compléter cette ménagerie de basse-cour.

 

A la droite des deux colverts, nous avons une étude de paon, représenté de dos ce qui permet de révéler sa longue queue aux plumes caractéristiques. Nous trouvons également en bas à gauche trois études de faisans de Colchide (Phasianus colchicus ou faisan commun) présentée sur un fond vert qui évoque un sous-bois : un mâle (reconnaissable à sa longue queue multicolore) et deux femelles (queue plus courte et aux couleurs plus uniformes). Originaires d’Asie, ils avaient été introduits en Europe au Moyen-Age où ils sont depuis élevés dans un état semi-sauvage pour la chasse.

 

A la gauche du dindon, deux grues cendrées (Grus grus) occupent une place importante dans la composition. Ce sont les seuls animaux sauvages de la composition. Hautes de près de 1.30m, nous les reconnaissons à leurs longues pattes et à la portion de peau rouge nue sur leur crâne. Ces oiseaux sont présents en Europe du Nord pendant l’été, avant de migrer sur plus de 2500km pour rejoindre l’Afrique du Nord l’hiver. Une troisième grue, vraisemblablement de la même espèce, est enfin représentée en train de picorer en arrière-plan.

 

3. Œuvres en rapport

 

Des études similaires d'animaux sur des fonds monochromes sont connues de la main du jeune Jan, comme de celle de son père[1]. Elles sont toutefois assez rares puisque le catalogue de Jan Brueghel le Jeune établi en 1984 par Klaus Ertz n’en recense que huit. Nous reproduisons ci-dessous celle présentée en vente à Drouot en 2009[2] qui est d’un esprit très similaire, bien que représentant des poissons et un homard.

 

Plusieurs études d’animaux réalisées par Jan Brueghel l’Ancien sont connues mais une seule est consacrée aux oiseaux : l’Etude de canards et d’oiseaux vendue au Palais Galliera en 1972 qui a pratiquement les mêmes dimensions (24 x 34.5 cm)[3].

 

Dr. Ursula Härting nous indique dans son certificat que, selon son journal, Jan le Jeune employa en 1626 à Anvers, juste après son retour d'Italie, un peintre très doué nommé Elias comme copiste d'Allégories des Eléments et date également la réalisation de ce panneau de cette même période. De nombreux oiseaux sont représentés dans les tableaux de Jan Brueghel l’Ancien ou de son fils et en particulier dans ces Allégories. Certains oiseaux figurant sur cette étude se retrouvent de manière littérale dans plusieurs compositions de ces artistes, suggérant que cette étude, exécutée sur un panneau préparé avec soin, aurait pu servir de répertoire de motifs au sein de l’atelier de Jan Brueghel le Jeune.

 

A titre d’exemple, les deux canards colvert nous paraissent être directement inspirés de plusieurs compositions de Jan Brueghel l’Ancien, quand le paon pourrait s’inspirer de celui figurant dans l’Allégorie du Goût du Musée du Prado.

 

Mais certains de nos oiseaux se retrouvent bien évidemment également dans des tableaux de Jan Brueghel le Jeune ou de son atelier, comme dans cette allégorie du Feu et de l’Air des collections bavaroises.

 

4. Provenance et encadrement

 

Ce tableau provient de la collection personnelle de Paul Touzet (1898 – 1981). Celui-ci ouvre dans l’entre-deux guerre sa première galerie rue de l’Université. Il s’installe ensuite rue des Beaux-Arts où il présente surtout des tableaux hollandais et flamands. L’expertise en vente publique devient son activité principale dans les années 60 et il officie comme un des experts de tableaux les plus réputés dans les ventes parisiennes jusqu’à sa disparition en 1981.

 

Ce tableau est encadré dans un cadre italien en bois noirci à profil renversé du XVIIIème siècle.

 

Principales références bibliographiques :

Klaus Ertz – Jan Brueghel der Jungere, Freren 1984

Klaus Ertz – Christa Nitze-Ertz Jan Brueghel der Ältere – Die Gemälde – Luca Verlag Lingen 2008-2010



[1] Cf. les études reproduites dans le livre de K. Ertz Jan d. Ä., die Gemälde, Volume III Lingen 2008-2010, catalogue 581-584a (avec beaucoup plus d'animaux, représentés dans leurs milieux naturels respectifs) et les études reproduites dans le livre de K. Ertz Jan d. J., Freren 1984 Kat. 330-337 (qui comprennent également des études d’animaux morts)

[2] Huile sur cuivre, 16.3 x 21 cm vendue €85,000 avec les frais chez O. Doutrebente le 26 juin 2009.

[3] Nous ne disposons malheureusement pas d’une photographie récente de cette œuvre et celle qui est présentée ici (issue vraisemblablement du catalogue de vente) est celle qui figure dans le catalogue raisonné de Klaus Ertz (numéro 584).