Provenance :
Jean-Marc (dit John) Du Pan (1785 -1838)[1] – bord de son cachet en bas à droite (L. 1440)
Ferdinand Van den Zande (1780 – 1853) – sa vente du 30 avril 1855 - numéro 3016[2]
Jules Michelin[3] (sa vente du 21-23 avril 1898) – numéro 308
Alfred Beurdeley[4] (1847 – 1919) – son cachet en bas à droite (L. 421) – sa vente du 8 au 10 juin 1920 (Galerie Georges Petit à Paris) – lot 234
Cette petite sanguine à la belle provenance est préparatoire à l’immense carton de tapisserie conservé au château de Versailles qui représente l’un des épisodes de la campagne de Flandres menée par Louis XIV : le siège de Douai (du 30 juin au 4 juillet 1667). C’est une page d’histoire particulièrement importante pour la ville qui, une fois conquise, se verra rattachée à la France par le traité d’Aix-la-Chapelle en 1668.
Avec une grande vivacité d’exécution et beaucoup de précision dans les détails, Van der Meulen nous présente un moment dramatique : la mort du cheval d’un des gardes du roi, terrassé par un boulet de canon ennemi, alors que celui-ci était descendu dans la tranchée, entouré à sa droite par le comte de Duras (représenté chapeau bas) et à sa gauche par le maréchal de Turenne.
- Contexte historique
Le siège de Douai est à replacer dans le contexte de la Guerre de Dévolution (1667-1668), la première guerre du jeune Louis XIV. Philippe IV, roi d’Espagne meurt le 17 septembre 1665. Il laisse le trône à son seul fils, Charles II, un enfant de quatre ans, si chétif que les cours européennes ne doutent pas de sa mort prochaine (il régnera toutefois jusqu’en 1700).
Louis XIV, époux depuis 1660 de l'infante Marie-Thérèse, fille aînée de Philippe IV, forme des prétentions, au nom de sa femme, sur plusieurs provinces de la monarchie espagnole. La reine de France avait renoncé à ses droits, renoncement exprimé par le contrat de mariage et confirmé par le traité des Pyrénées, mais la clause du traité qui l'y contraignait liait cette renonciation au versement d'une dot de 500 000 écus d'or qui n'a jamais été réglée.
Pour supporter juridiquement sa demande, Louis XIV s'appuie sur le droit de dévolution, une vieille coutume du Brabant, d'après laquelle les enfants d'un premier mariage — en l'occurrence, Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV — sont les seuls héritiers de leurs parents au détriment des enfants nés d'un second mariage — en l'occurrence, Charles II.
L’armée du roi de France quitte Paris le 16 mai 1667. Elle est placée directement sous le commandement du roi, secondé par le maréchal de Turenne. Le 24 mai 1667 les troupes françaises passent à l’attaque et envahissent les Pays-Bas espagnols et conquièrent successivement les villes de Charleroi, Ath, Tournai, Douai et enfin de Lille le 27 août 1667. La campagne de Flandres se termine le 13 septembre 1667, après la prise de Mons.
Louis XIV arrive le 2 juillet devant Douai, qu'il avait fait investir deux jours auparavant par le comte de Duras. Il se rend aussitôt reconnaître la place, marque les endroits les plus propres pour l'attaquer et fait ouvrir la tranchée le 3 juillet. Le lendemain, après avoir visité tous les postes, il descend dans la tranchée, et quelques officiers et quelques gendarmes y sont blessés auprès de lui (c’est l’épisode dont s’inspire notre dessin[5]). Cette démarche du roi inspire une telle ardeur aux troupes, que le quatrième jour du siège elles passent le fossé, emportent la contrescarpe et établissent un logement sur la demi-lune. La ville, qui se voit sur le point d'être forcée, capitule le même jour (le 4 juillet 1667).
2. Van der Meulen, collaborateur de Le Brun pour « L’Histoire du Roy »
Adam François Van der Meulen est un peintre flamand d’origine bruxelloise. Il est formé dans l’atelier de Peter Snayers, un peintre de la cour de Bruxelles renommé comme spécialiste de peintures de bataille. Le peintre Le Brun fait appel à lui en 1662 pour fournir des cartons de tapisserie et dessiner les villes conquises par le roi. Entre 1665 et 1681, Van der Meulen n’effectuera pas moins de 9 voyages dans le nord du pays et les Flandres[6].
Notre dessin est préparatoire à la dixième pièce de la tenture de « L'Histoire du Roy » dont il constitue très vraisemblablement une première pensée, destinée à être retravaillée par Le Brun et agrandie pour aboutir au carton final. Malgré le caractère très spontané de notre étude, il nous semble peu probable que l’artiste ait assisté à la scène. Il est en revanche tout à fait possible que le dessin, et en particulier les quelques annotations topographiques figurant en arrière-fond, aient bien été exécutées lors d’un des séjours de Van der Meulen sur la ligne de front.
Plusieurs dessins de Van der Meulen (dont un également à la sanguine) conservés au Musée du Louvre présentent d’ailleurs différentes vues de Douai. L’arrière fond de notre dessin nous semble pouvoir être mis en rapport avec la « Vue de Douai du côté des attaques », dont il existe deux versions. Nous reproduisons ci-dessous celle à l’aquarelle et à la mine de plomb (RF 4902).
Un dessin de Charles Le Brun (1619-1690) conservé au château de Versailles (et anciennement attribué à Le Brun et Van der Meulen) montre une version plus avancée du même sujet. Exécuté à la pierre noire et au lavis gris il est d’une taille nettement plus imposante (48.9 x 78.3 cm), et permet de détailler la vue de Douai en arrière-plan qui n’était qu’évoquée dans notre sanguine et qui se trouve ici entièrement dégagée grâce à un rehaussement de la ligne d’horizon.
Le château de Versailles conserve également le carton pour haute lisse (aux dimensions imposantes : 354 x 589 cm !) peint par Baudouin Yvart, Adam-Frans Van der Meulen et Charles Le Brun qui reprennent assez fidèlement la proposition développée par Charles Le Brun dans le dessin présenté ci-dessus.
Le Mobilier National conserve enfin une gigantesque tapisserie de la Manufacture des Gobelins (5 mètres sur 7) tissée entre 1672 et 1685 qui présente cet épisode. Ajoutons enfin que la composition sera gravée par Sébastien Leclerc en 1682.
3. Provenance et encadrement
La présence de deux cachets de collection (en bas à droite de la feuille) et les anciennes étiquettes de vente (qui ont été remontées au verso) permettent de suivre les différentes collections auxquelles cette feuille a appartenu pendant près d’un siècle : Du Pan, Van den Zande, Michelin, Beurdeley.
Le cadre de la collection Beurdeley était très abîmé quand nous avons acquis ce dessin et nous l’avons donc fait réencadrer. Pour ce faire, nous avons eu la chance de trouver un petit modèle particulièrement attractif en bois finement sculpté (et anciennement doré). Alors qu’il est très proche des volumes des cadres Louis XIII, la présence de coquilles dans la frise d’acanthe qui décore ce cadre nous permet de penser qu’il s’agit sans doute d’un modèle du début de l’époque Louis XIV. Notre cadre serait donc tout à fait contemporain du dessin que nous présentons, puisque celui-ci a vraisemblablement été exécuté peu de temps après le siège de Douai qui s’est tenu en juillet 1667.
[1] Un amateur Genévois dont la collection de dessins fut vendue à Paris le 26 mars 1840
[2] « Episode d’une bataille. Morceau très spirituellement exécuté à la sanguine » selon le catalogue - adjugé 29 francs
[3] Jules Michelin, né à Paris en 1817, receveur au service des Douanes de son état, est par passion un artiste, un peu plus qu’amateur, peintre, et surtout lithographe et aquafortiste. Paysagiste quand ce genre triomphe et aquafortiste quand s’affirme le renouveau de l’eau-forte originale, soutenu de manière engagée par la Société des aquafortistes, il est tout à fait représentatif de son époque. Il est aussi collectionneur de céramiques et de gravures, comme le montre le catalogue de la vente de sa collection en 1898, après sa mort survenue à Limoges en 1870, et celle de sa veuve, née Adèle Barbier, héritière d’une fabrique de caoutchouc. Car, pour compléter ce portrait, il faut aussi présenter Jules Michelin comme le père d’André et d’Édouard Michelin, fondateurs, dans la lignée de leur grand-père maternel, de la manufacture de caoutchouc de Clermont-Ferrand.
[4] Alfred Beurdeley était le fils d’un des premiers antiquaires de Paris. Après avoir fondé d’importants ateliers de bronze et d’ébénisterie d’art il se consacre à partir de 1893 à ses collections et réunit en particulier une des plus riches collections de dessins et d’estampes de son temps.
[5] Il semblerait selon le site internet des collections du château de Versailles que Van der Meulen ait « épicé » la scène en représentant un épisode survenu pendant le siège de Termonde (également en juillet 1667) : un boulet renverse le cheval d’un garde du corps au moment où le duc de Noailles présente sa compagnie au souverain impassible.
[6] Selon le Mémoire de tout ce que François Van der Meulen a peint ou dessiné pour le service de Sa Majesté depuis le 1er avril 1664, cité par Louis-Antoine Prat dans « Le dessin français au XVIIème siècle ».