Cette séduisante scène de genre de Jean-Baptiste Lallemand constitue à première vue une énigme. Que vient faire la représentation de l’église Notre-Dame de Dijon en arrière-plan d’un paysage portuaire ?
La présence d’une deuxième feuille de papier (collée sur la droite) nous en donne la clé. L’artiste a tout d’abord réalisé une scène de la vie dijonnaise (vraisemblablement lors de son séjour dans sa ville natale entre 1770 et 1773), puis complété son dessin par l’ajout au premier plan d’une nature morte (tonneaux et ancre marine) en ouvrant largement sa composition sur un horizon maritime, transformant ainsi une scène de genre en un véritable caprice architectural assez virtuose.
- Jean-Baptiste Lallemand, un paysagiste dijonnais du XVIIIème siècle
C’est sous ce titre que se tenait en 1954 au musée de Dijon la seule exposition monographique consacrée à l’artiste. La notice rédigée par Pierre Quarré, le conservateur de l’époque, nous donne quelques éléments biographiques sur l’artiste dont la vie est encore assez mal connue.
Jean Baptiste Lallemand naît à Dijon en 1716 où son père exerçait le métier de tailleur d’habits. Installé à Paris vers 1740, sa formation artistique semble être largement celle d’un autodidacte, qu’il complète en 1747 en partant en Italie (peut-être en compagnie du peintre Jean Barbault) où il séjourne pendant plusieurs années et se spécialise dans les paysages et les marines. Il devient membre de l’Académie de Saint-Luc à Paris en 1751 et retourne vivre quelques années à Dijon en 1770 où il devient membre du jury de l’Ecole de Dessin fondée en 1766.
C’est à l’occasion de ce séjour à Dijon qu’il commence sa collaboration à l’illustration de la Description générale et particulière de la France, une initiative de Benjamin de La Borde, qui permettra la publication en 1784 du Voyage Pittoresque de la France dans lequel seront reproduits en gravure ses dessins. La Bibliothèque Nationale abrite au sein de la collection Destailleurs un fond important de paysages réalisés par Lallemand pour illustrer ce Voyage Pittoresque, la plupart du temps été réalisés à l’aquarelle, comme l’œuvre que nous présentons. La Vue de Dijon reproduite ci-dessous, dans laquelle nous reconnaissons en arrière-plan le clocher caractéristique de l’église Notre-Dame fait partie de ce fond.
2. La métamorphose d’une œuvre
Pierre Quarré soulignait dans sa notice sur l’artiste la qualité des dessins réhaussés au lavis ou à l’aquarelle de Lallemand indiquant qu’« il atteint souvent sans hésitation cette délicatesse et cet accent de fantaisie joyeuse qui le rapprochent des grands maîtres de l’époque ». Le caprice architectural que nous présentons nous paraît tout à fait mériter ces éloges. Il offre également une caractéristique inattendue : l’artiste a commencé par la représentation d’une scène de genre de la vie dijonnaise qu’il a, dans un deuxième temps, complétée et agrandie pour la transformer en une scène portuaire.
La carriole sur laquelle s’afférent plusieurs portefaix constitue le sujet principal de cette scène de genre. Elle est mise en valeur par la représentation au premier plan et à contre-jour d’un groupe formé par une femme assise au milieu de caisses et d’un homme qui contemple la scène principale en fumant une longue pipe, un chien assis à ses pieds.
Nous reconnaissons en arrière-plan la façade caractéristique de l’église Notre-Dame de Dijon, qui est représentée avec une grande précision, comme en témoigne la vue ci-dessous extraite de l’Histoire des Villes de France publiée en 1859 par Aristide Guibert. Pierre Quarré soulignait d’ailleurs que Lallemand décrivait « scrupuleusement les édifices romans et gothiques ».
La présence de cette église caractéristique de la ville de Dijon est évidemment incongrue dans un environnement portuaire. Un examen attentif de notre dessin permet de retracer l’intervention de l’artiste pour transformer cette scène urbaine : le clocher qui apparait au lointain entre les deux portefaix, les bateaux et la représentation de l’eau sur la droite, mais également l’ensemble de la nature morte composée de planches, de cordes, de tonneaux, d’une caisse et d’une ancre nous semblent avoir été rajoutés après coup ! Ce changement radical explique pourquoi l’artiste a dû agrandir sa composition sur la droite avec une nouvelle feuille (collée à droite de celle présentant la scène de genre) pour la rééquilibrer et l’ouvrir sur un horizon marin qui évoque la série des ports de France réalisée par Claude Vernet entre 1754 et 1765.
Nous avons tracé sur l’image reproduite dans la galerie cette ligne de démarcation imaginaire entre le noyau urbain initial et les détails portuaires qui nous semblent avoir été rajoutés après coup.
Le résultat, qui fait de notre feuille une sorte de caprice architectural mêlant éléments réels et fictifs, est très séduisant et démontre pleinement les grandes qualités de paysagiste et de peintre de genre de Jean-Baptiste Lallemand.
3. Encadrement
Notre dessin a été encadré dans un important cadre à pastel d’époque Louis XV en bois entièrement sculpté et doré. D’un profil concave, il est orné d’une chaîne de cabochons sur le bord arrière et d’un godronnage sur le bord supérieur. La vue est bordée d’une frise composée de feuilles d'acanthe et de volutes en forme de C.
Principales références bibliographiques
Jean-Baptiste Lallemand paysagiste dijonnais du XVIIIème siècle – catalogue de l’exposition tenue au musée de Dijon en 1954 (avec une préface de Pierre Quarré)
Claude Gérard Marcus – Jean-Baptiste Lallemand 1716-1803 – publié en 1994