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Cette grande étude à la plume et au lavis a été exécutée, vraisemblablement en plein air, par l’artiste du Siècle d’Or Hollandais Thomas Wijck lors de son séjour à Naples en août 1639. Nous avons été séduits par sa modernité et par son dépouillement. Alors que ce dessin témoigne de la venue de l’artiste à Naples au tout début de son séjour italien, celui-ci continuera pendant toute sa carrière à utiliser des motifs napolitains pour certains de ses paysages, démontrant ainsi l’importance de ce séjour napolitain, sur lequel on sait si peu de choses, dans la formation du jeune peintre.

 

  1. Thomas Wijck, artiste du Siècle d’or hollandais et grand voyageur

 

Thomas Wijck, également connu sous le nom de Thomas Wyck, est un peintre flamand formé à Haarlem dans l’atelier du peintre Adriaen van Ostade (1610 – 1685). Il se rend ensuite en Italie, vraisemblablement autour de 1640, année au cours de laquelle un "Tommaso fiammingo, pittore" (Thomas le Flamand, peintre) est documenté comme résidant à Rome, Via della Fontanella.

 

En 1642, Wijck se trouve à nouveau dans le nord des Pays-Bas, inscrit à la guilde de Saint-Luc de Haarlem. Le 22 mai de cette année-là, il se marie à Haarlem. Sa présence à Haarlem est encore documentée en 1658, 1659, 1669 et 1676.

 

A la différence de notre dessin, peu d’œuvres de Wijck sont datées, ce qui permet difficilement d’établir quels sont les tableaux exécutés en Italie, car même après son retour aux Pays-Bas, il a peint de nombreux paysages italianisant, en utilisant les dessins à la craie noire et au lavis réalisés d'après nature en Italie, dont un grand nombre a survécu. Wijck présente généralement des vues des ruelles de Rome, dépourvues des grands monuments antiques et de la Renaissance qui constituaient le principal centre d'intérêt des autres peintres italianisant flamands et hollandais.

 

Il est rarement possible d'identifier des lieux précis dans ses œuvres, mais malgré ou peut-être à cause de cela, les vues urbaines de Wijck, sans doute composées en atelier selon des principes structurels spécifiques, semblent plus convaincantes et plus réalistes que celles créées par bien des artistes italianisants de la seconde moitié du XVIIe siècle. Certains tableaux de Wijck, comme par exemple les Joueurs de Morra (Vienne, Gemäldegalerie der Akademie der bildenden Künste) ou les Paysans dans une cour (Philadelphie, PA, Museum of Arts), présentent des liens étroits avec les peintures bambocciata (scènes de la vie quotidienne) du début des années 1640 et témoignent de l’influence de Pieter van Lar (1599 – 1642).

 

Au cours de ses dernières années, Wijck a produit des œuvres étroitement liées, par leur style et leur sujet, à la peinture de genre hollandaise, comme en particulier ses scènes d'intérieur avec des alchimistes (par exemple, Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum ; Munich, Alte Pinakothek, 856). Il se rend également à Londres entre 1663 et 1668, où il aurait vraisemblablement assisté au grand incendie de 1666, puis de nouveau en 1673-1674. Revenu avec son fils le peintre Jan Wijck, il peint alors des décors pour Ham House, avant de finir ses jours à Haarlem.

 

2. Description et œuvres en rapport

 

Ce dessin constitue à notre connaissance le seul témoignage daté du séjour de Wijck à Naples et permet de situer ce séjour au tout début de son voyage en Italie, avant son installation à Rome qui est un peu mieux documentée.

 

L’intérêt de ce dessin est qu’il a très vraisemblablement été exécuté à la plume en plein air, même s’il possible que les lavis aient été complétés par la suite. L’arrière fond représente une vue du Vésuve tel que l’on peut le découvrir du môle de Saint Vincent, une importante jetée protégeant le port de Naples. Le détail du tableau d’Antonio Joli Le départ de Charles III de Naples reproduit ci-dessous nous montre cette jetée avec le Vésuve en arrière-plan.

 

La partie droite de notre dessin représente d’ailleurs la tour Saint Vincent, une importante construction qui servait de phare sur la jetée, telle qu’elle était en 1639. Il nous semble que cette tour a été rajoutée à notre dessin dans un deuxième temps (le dessin de paysage se continuant sous celui de l’ensemble architectural), et il est tout à fait possible que l’artiste l’ait représentée d’un autre angle que celui utilisé pour dessiner le paysage en arrière-fond. Un tableau attribué à l’entourage de Filippo Napoletano (1587 – 1629) et exécuté autour de 1640 représente ainsi la tour Saint Vincent et les baraquements à ses pieds d’une manière assez fidèle à notre dessin, mais sans Vésuve en arrière-plan...

 

Les sujets napolitains continueront à faire partie du fond de commerce de l’artiste après son retour à Haarlem, comme en témoigne cette Vue d’un port oriental exécutée vers 1650 (Alte Pinakothek – Münich), dans laquelle on retrouve à la fois le Vésuve fumant en arrière-plan, mais également la Tour Saint Vincent assez fidèlement représentée sur la droite.

 

Les éléments « napolitains » seront repris par Thomas Wijck dans différentes compositions exécutées tout au long de sa vie, comme en témoigne cette Vue de la baie de Naples avec des personnages orientaux et une statue antique ( National Trust - Ham House) réalisée en 1673 – 1674 lors de son deuxième séjour en Angleterre, dans laquelle on retrouve également la tour Saint-Vincent en arrière-plan.

 

3. Provenance et encadrement

 

Un cachet armorié (Lugt 5081) apposé au dos du papier sur lequel notre fragile dessin a été collé en plein nous renseigne sur sa provenance. Ces armoiries correspondent à celles de la famille Paternò Castello, plus précisément à la branche des ducs de Carcaci (même si elles ne sont pas surmontées d’une couronne ducale) et suggèrent que ce dessin aurait pu être acheté à Naples, avant d’appartenir à des collections florentines (nous l’avons d’ailleurs acheté à Florence).

 

Ce cachet, qui semble dater du XIXème siècle ou du tout début du XXème siècle, se retrouve sur un certain nombre de dessins ayant appartenus au marquis Ricci-Riccardi à Florence. Il pourrait s’agir du marquis Antonio Ricci Riccardi, décédé en 1916. Le marquis, qui était historien, avait épousé en 1870 Maria Paternò Castello (1845/1847 ?-1915 ?), qui était la fille de Gaetano Maria 7e duc di Carcaci, ce qui peut donc correspondre aux armoiries de la marque. Maria Paternò Castello, Marchesa Ricci, était poète. Selon des renseignements donnés par la famille (et reprises sur le site de la Fondation Custodia), elle aurait constitué une collection de dessins. Le couple ne semble pas avoir eu de descendance et la collection serait ensuite passée à des membres de la famille Paternò Castello qui les auraient ensuite dispersés.

 

Ces armoiries ont été signalées sur des feuilles faisant partie d’un groupe de dessins de Claude Gellée et de son entourage, ainsi que de Salvator Rosa (vente 1974, 12 juin, Berne, Kornfeld und Klipstein, Auktion 151, nos 72, 73, 99, 161, 162, et probablement aussi sur les nos 56, 57, 63, 64, 66, 94 et 95), ou encore sur d’autres dessins italiens.

 

Ce dessin a été encadré par nos soins dans un cadre à godrons en bois noirci de style hollandais.